La rhétorique, née en Sicile au Ve siècle avant Jésus-Christ, est l’art de convaincre c’est-à-dire l’art d’agencer les mots en vue d’un effet précis. La rhétorique formulées par les Grecs a évolué et régi la littérature jusqu’au XXᵉ siècle. Critiquée puis oubliée, elle revient, avec l’essor des analyses de discours et celui de la communication, au gout du jour.

Les objectifs de la rhétorique

1. Les trois objectifs

Cicéron assigne trois objectifs perlocutoires a la rhétorique :

  • Docere : l’orateur doit instruire et informer son auditoire ;
  • delectare : il doit lui plaire, le charmer ;
  • movere : il doit l’émouvoir.

2. Les trois catégories de procédés argumentatifs

L’orateur utilisera trois catégories de procédés argumentatifs : la démonstration, l’argumentation et la persuasion.

a) La démonstration

La démonstration vise à convaincre. Elle s’adresse à la raison, au bon sens. Elle doit fournir des preuves universelles et irréfutables de type logique ou scientifique. Elle vise le vrai.

b) L’argumentation

L’argumentation vise également à convaincre, mais s’adresse plus restreinte a un auditoire, une cible à laquelle il faut adapter son raisonnement. L’argumentation s’appuie sur l’emploi d’exemples qui donnent un tour plus concret au raisonnement. Celui-ci ne vise plus le vrai mais plutôt le vraisemblable. Il se prête donc la controverse. Il est à noter que bien souvent l’argumentation publicitaire se pare des apparences de la démonstration (emploi de statistiques douteuses, de jargon pseudo-scientifique…).

c) La persuasion

La persuasion vise à obtenir l’adhésion par le plaisir procuré au récepteur par le discours. Celui-ci s’obtient le plus souvent en flattant son image de soi et en instrumentalisant ses motivations. La persuasion joue non plus sur les capacités de raisonnement du récepteur mais sur ses ressorts psychologiques. Le récepteur doit être séduit. C’est le procédé le plus couramment employé dans la communication commerciale.

Exemple : le visuel Sephora, assez typique des publicités pour les produits cosmétiques, met la démonstration au service de l’argumentation. La cible visée est la femme soucieuse du vieillissement de sa peau ; les arguments avancés sont donc la « réduction du nombre et de la taille des ridules » et « des rides profondes », le lissage de la peau et sa luminosité. Ces arguments sont étayés par une pseudo-démonstration faite de statistiques (« -22 %, – 24 %, 92 %, 94 %) et l’utilisation d’un vocabulaire scientifique ou pseudo-scientifique : « actif généré par une micro-algue », « laboratoire de biotechnologie », « acide alguronique ».

Les différents genres de la rhétorique

La rhétorique classique a défini cinq genres majeurs en fonction des différentes situations de communication dans lesquelles se trouve l’orateur.

1. Le genre judiciaire

C’est le genre employé lorsque l’orateur doit défendre un accusé devant un tribunal. Quintilien (1e siècle) définit ainsi les cinq parties de l’argumentaire délibératif :

  • L’exorde : il s’agit d’éveiller la bienveillance de l’auditoire ; c’est donc une partie essentielle (delectare);
  • la narration : son but est d’informer l’auditoire (docere) ;
  • la preuve : il s’agit de démontrer ce qui est dit (docere) ;
    la réfutation : il s’agit de détruire les arguments opposés (docere) ;
  • la péroraison : conclusion qui reprend les éléments essentiels et cherche à émouvoir (movere).

Ce genre inspire encore aujourd’hui les discours judiciaires.

2. Le genre délibératif

Ce genre est employé lorsqu’il convient de persuader ou de dissuader en vue d’une décision à prendre. L’orateur use pour cela de son autorité ; il cherche également à jouer sur les sentiments de son auditoire : la crainte, l’excitation, le calme, la colère. L’exorde est supprimée mais une partie s’ajoute a celle du précédent genre : la conjecture qui consiste à déterminer la faisabilité présente ou future des projets mis en délibération. Pour cela, l’orateur s’appuie sur des exemples tirés du passe. Ce genre inspire les discours politiques et est remis au gout du jour notamment dans le cadre du développement des débats publics concernant par exemple l’aménagement du territoire et d’une possible démocratie participative (gouvernance).

3. Le genre démonstratif ou épidictique

Ce genre est employé pour faire l’éloge ou le blâme d’une personne ou d’une action. Il se décline de différentes manières : l’oraison funèbre, le panégyrique (portrait flatteur), l’apologie, le pamphlet, la satire, la diatribe. Les procédés sont notamment ceux de l’amplification qui consiste à grossir et à développer la description des qualités ou des défauts de l’objet du discours. Ce genre est le modèle de nombreux articles de journaux et bien sur de la communication commerciale dont le but est de renforcer l’adhésion de l’auditoire a des valeurs communes.

La mise en œuvre de la rhétorique

1. Les cinq étapes

a) L’inventio

L’iventio, ou invention, est l’étape préparatoire : il s’agit de définir la situation de communication, la problématique et de rechercher les idées, les arguments, les exemples qui vont constituer l’argumentaire. La rhétorique appelle « preuves techniques » les catégories utilisées. On en distingue trois sortes : les preuves logiques, subjectives et l’amplification. L’invention s’appuie également sur un ensemble de lieux communs et de lieux spécifiques, c’est-a-dire de procédés argumentatifs et stylistiques propres a l’ensemble des genres ou a certains d’entre eux seulement.

b) La dispositio

La dispositio, ou disposition, consiste à organiser en fonction du genre de discours les éléments trouves lors de l’inventio (cf. supra « Les genres »).

c) L’elocutio

L’elocutio, ou style, « adapte à ce que l’invention fournit des mots et des phrases appropries » (Rhétorique Herennius). Selon Cicéron, le style doit avoir quatre qualités : la correction, la clarté, l’élégance et la convenance (pertinence). La rhétorique distingue trois styles :

  • Le style simple qui doit être correct, clair et convenant mais qui peut se passer d’élégance ; ce style peut utiliser un langage courant, voire familier ;
  • le style moyen qui emprunte aux deux autres styles ;
  • le style élevé qui recherche la beauté de l’expression, son ornementation par les figures de rhétorique et évite les familiarités en se plaçant sur un registre soutenu.


d) La memoria

La memoria, ou mémoire, consiste « à bien retenir les idées, mes mots et leur disposition » (Rhétoriques à Herennius). L’orateur doit parler sans notes. La memoria est composée d’un ensemble de techniques permettant de se remémorer tous les éléments du discours.

e) Lactio

L’actio, ou action oratoire « consiste à discipliner et à rendre agréable la voix, les jeux de physionomie et les gestes » (Rhétorique à Herennius). Elle est essentielle pour rendre le discours vivant, suscité et maintenir l’attention de l’auditoire. Dans tout les cas, le discours doit être dit avec passion et conviction.

Le recours aux preuves techniques

a) Les preuves logiques

Les preuves logiques sont celles qui s’appuient sur l’utilisation de la raison et/ou du langage.

  • L’exemple concrétise une idée abstraite ou renforce par analogie la présentation d’un élément concret. Il peut avoir réellement existé ou être inventé (fable, parabole). Il sert de témoignage et emporte facilement la conviction.
  • La maxime est définie par Aristote comme une « affirmation sentencieuse du général ». Elle a d’autant plus de force que l’autorité de celui qui la prononce est grande (âge, expérience…). Elle confère une tonalité morale au discours.
  • L’induction consiste à énoncer une loi générale pour à partir de l’observation de faits particuliers.
  • La déduction consiste à conclure « d’une ou de plusieurs propositions données [appelées prémisses] une proposition qui en résulte en vertu de règles logiques » (Le Robert).
  • Le syllogisme est une mise en œuvre particulière de la déduction. Il est formé de deux prémisses (majeure et mineure) dont on tire une conclusion.

Exemple : le plus célèbre exemple de syllogisme est le suivant « Tous les hommes sont mortels (majeure). Or Socrate est un homme (mineure). Donc Socrate est mortel (conclusion). Attention, le syllogisme peut aboutir a des absurdités.

Exemple : « plus il y a de gruyère, plus il y a de trous. Or plus il y de trous, moins il y a de gruyère. Donc plus il y a de gruyère, moins il y a de gruyère. » L’enthymème est un syllogisme dont on passe sous silence les prémisses si elles correspondent a des présupposés de l’auditoire (savoirs encyclopédiques, valeurs) afin de donner plus de concision et donc plus de force a l’argumentation.

Exemple : Aristote (Ve siècle av. J.-C.) écrit que « pour conclure
que Dorieus a reçu une couronne comme prix de sa victoire,
il suffit de dire : Il a été vainqueur a Olympie ; inutile d’ajouter : A Olympie, le vainqueur reçoit une couronne : c’est un fait connu de tout le monde.

b) Les preuves subjectives

  • La preuve éthique consiste pour l’orateur à donner une image positive (ethos) de lui-même. Cette perception positive de lui-même qu’il saura susciter chez son auditoire rejaillira sur la perception de son discours qui sera mieux accueilli. C’est l’usage habile du discours, plus que le comportement de l’orateur, qui importe pour s’attirer la sympathie de l’auditoire. Le discours devra en effet s’appuyer sur la doxa, c’est-a-dire sur les valeurs communes de l’auditoire, pour le convaincre. L’éthos se différencie de l’autorité qui est liée a des qualités reconnues a l’orateur bien avant qu’il commence à parler (expertise, position sociale, age, célébrité…)
  • La preuve pathétique vise à influer et à jouer sur les passions (pathos) de l’auditoire la colère, la haine la compassion… Cela nécessite de connaitre les ressorts psychologiques de ces passions. L’argument d’autorité consiste à jouer sur les qualités reconnues de T’orateur afin d’assurer par avance le bon accueil de son discours. L’orateur peut utiliser indirectement cet argument en se rangeant derrière l’autorité d’une personne dont il cite le discours. La publicité commerciale fait un large usage de cet argument (recours a des pseudo-experts, appel a des personnalités célèbres, égéries, mention « Vu à la télé » ….)
  • L’argument de coutume consiste à asseoir la validité du discours sur le fait qu’il est communément accepté depuis longtemps.
  • L’attaque ad hominem consiste à s’attaquer a l’homme pour disqualifier ses idées.

c) L’amplification

L’amplification est l’art de développer et d’amplifier afin de convaincre et de persuader. Elle s’appuie sur de nombreux procédés comme l’insistance, l’atténuation, la digression, L’interrogation, l’hésitation, la précaution oratoire, l’anticipation, l’exemple… L’amplification passe également par la maitrise de la diction et de l’intonation.

3. Le recours aux lieux communs et spécifiques

Les lieux (topos, plur. topoï) sont à la base des schémas de pensée appelés topiques permettant de collecter et d’organiser la pensée.

Exemple : la topique journalistique (topos des circonstances). « Qui ? Quoi ? Ou ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? » organise la collecte des informations et leur compte rendu. Ces schémas de pensée sont à la base de la constitution de la doxa (opinion commune) formée de stéréotypes, de clichés et de lieux communs. Le topos est ainsi le fondement de l’enthymème (cf. supra). Les lieux constituent des types préfabriqués d’argumentation.

a) Les lieux communs

  • La définition consiste à chercher le sens elle se place au commencement de la réflexion.
  • La division consiste à considérer un problème en isolant les parties qui le constituent.
  • La causalité consiste à déterminer une chaine d’effets et de causes.
  • La comparaison rapproche l’idée à faire accepter d’une idée analogue qui l’est déjà.
  • Les contraires : si A et B sont contraires, si A est bon, alors B est mauvais.
  • L’argument a fortiori (a plus forte raison) : il consiste à « conclure d’une proposition la vérité d’une autre pour laquelle la raison invoquée s’applique encore mieux » (Le Robert).
  • Les circonstances : « Qui ? Quoi ? Ou ? Quand ? Comment ? Pourquoi ? »

b) Les lieux spécifiques

Le genre épidictique s’appuie essentiellement sur l’amplification. Les genres judiciaire et délibératif s’appuient sur trois lieux spécifiques :

  • La conjecture : le fait en question (crime, nécessité de décider…) existe-t-il ?
  • La définition : le fait est-il un crime, un délit… ?
  • La qualité : le fait est-il condamnable, utile, autorisé… ?

La publicité a elle aussi ses lieux spécifiques : la topique publicitaire.

c) La topique publicitaire

La communication publicitaire se fonde souvent sur des schémas de pensée qui déterminent sa stratégie. Ces schémas visent à articuler de différentes façons les fonctions phatique, cognitive, affective et conative dans les messages de communication quels qu’ils soient. Ces topiques sont souvent désignées par des acronymes qui sont autant de moyens mnémotechniques. Le tableau suivant n’est pas exhaustif.

La topique publicitaire

Exemple : le visuel Tetra Pak fonctionne selon le modèle ACCA : notre attention est sollicitée involontairement par la composition du visuel (contrastes clair/obscur, vert/rouge, sujets éclairés) et l’énigme qu’il représente. Nous lisons alors le slogan qui, par effet de suspension, nous amène a lire le pavé textuel. Celui-ci est de type explicatif (il vise notre compréhension) et propre à entrainer notre conviction et le choix de ce type d’emballage. En position de verrouillage, on trouve l’adresse du site Internet (action). Noter par ailleurs l’enthymème : « la nature est en danger (majeure implicite) ; or des gestes peuvent la préserver mineure reformulée par la première partie du slogan); il faut donc choisir les emballages Tetra Pak (conclusion explicite). »